Lettre ouverte à Véronique Fayet sur le revenu universel

Orange, le 1er décembre 2020

Madame la Présidente nationale du Secours catholique,

Votre dernière circulaire plaidant pour la création du fameux revenu minimum universel ne peut pas me laisser sans voix, car il y a là un détournement objectif de la charité, de son exercice et de sa finalité.

Remplacer la charité privée, sur laquelle vous vous appuyez et que le catholicisme a toujours promu, par la « charité » publique est dangereux, car cette dernière annihile l’esprit du don et favorise l’égoïsme de chacun au nom de tous. En un mot, là où la puissance de l’Etat intervient, elle déresponsabilise la personne. Pire, à terme, l’Etat la prive de sa liberté d’agir et de sa dignité, mais il est généralement trop tard lorsqu’elle en prend conscience.

De Davos à Benoît Hamon, de l’école marxiste aux libéraux pur jus, tous en viennent à cette solution, synonyme dans l’esprit des rêveurs qui nous gouvernent d’abolition du travail et d’avènement de la socialisation des richesses. En bref, on prétend à l’ère du machinisme technologique avoir réalisé la vieille utopie communiste grâce aux trusts.

Vous nous dressez tout d’abord un constat : le revenu médian des personnes ayant recours à la générosité du Secours catholique est de 537 euros. Vous mesurez donc que la pauvreté continue sa terrible progression dans notre pays. Et vous en appelez à l’Etat, aux élus, et à la protection sociale. – Je reviendrai d’ailleurs, dans un autre document, sur votre rapport sur l’état de la pauvreté en France 2020, lumineux et instructif en bien des points, reflet d’un véritable travail de terrain que les organismes gouvernementaux dévoilent peu ou pas. –

Si vous avez raison de rappeler à l’Etat ses devoirs et de solliciter la générosité des Français les uns envers les autres, vous faites fausse route en pensant que le dosage de protection sociale changera la donne.

D’une part, vous le remarquez vous-même, cette organisation de la charité publique est lacunaire, « mêle manque d’écoute et humiliation », et ne résout aucunement le problème de la misère sociale. Tout au plus est-elle un palliatif justifiant l’impôt. Surtout elle est, en réalité, une démission de l’Etat, incapable d’entamer une politique efficace de lutte contre le chômage.

D’autre part, en emboîtant le pas au discours dominant de la bonne conscience condescendante, vous faites la promotion d’une politique qui a ruiné la France ces 50 dernières années, et donc qui a créé de la pauvreté. Vous validez un système dans lequel on enrichit les plus riches et on ruine tous les autres. Ce qui est scandaleux, c’est de constater qu’une famille, dans laquelle les deux parents travaillent, n’arrive pas à vivre décemment de son labeur, et est jetée tôt ou tard vers une misère sociale évidente au moindre accident survenu.

Le premier devoir de l’Etat est de permettre à chaque Français d’avoir un droit à l’emploi. Seul le travail accorde les moyens matériels, la dignité suffisante et l’épanouissement pour accomplir la véritable libération sociale que peut attendre celui qui est dans la nécessité. Le premier devoir de l’Etat est de réunir les conditions d’un chômage minimal et d’un salaire décent pour l’ensemble des Français.

Ce qui doit nous « faire rougir, de honte, puis de rage », pour reprendre vos mots, c’est le constat d’un Etat qui achète la paix sociale avec des allocations miséreuses, grevant la dette publique et les générations futures sans vergogne, et ravalant le travail en-deçà de sa valeur intrinsèque. Pire, c’est une entorse grave à la justice qui veut qu’il soit rendu à chacun selon son dû : autant il ne faut pas voler au pauvre son pain, autant il ne faut pas abaisser la sueur du travailleur à une base universelle indexée au bon vouloir de la dette publique.

Plutôt que de promouvoir une alternative hors de cette spirale mortifère qui mène l’humanité à l’esclavage et à la barbarie sans vraiment la sortir de la misère, vous extrayez de votre chapeau la vieille idée du moment : le revenu universel.

De Davos à Benoît Hamon, de l’école marxiste aux libéraux pur jus, tous en viennent à cette solution, synonyme dans l’esprit des rêveurs qui nous gouvernent d’abolition du travail et d’avènement de la socialisation des richesses. En bref, on prétend à l’ère du machinisme technologique avoir réalisé la vieille utopie communiste grâce aux trusts.

Or, je crois qu’il y a derrière tout ça non une revendication sociale pour combattre la misère réellement, mais plutôt un enchaînement moral et matériel de l’homme à l’Etat maternant. C’est un peu l’histoire du conte chinois : plutôt que d’apprendre à pêcher, on s’arrange pour fournir le poisson au demandeur qui demeure dans sa dépendance.

Le revenu universel est avant tout une question de philosophie de l’homme. Veut-on lutter contre la misère, obstacle objectif à l’exercice de sa liberté, ou souhaite-t-on simplement apaiser sa souffrance matérielle en échange de sa docilité de consommateur-électeur ?

Sur un plan pratique, la mise en place de revenus universels de base a tout le temps provoqué un système d’alignement des prix et une inflation qui n’ont fait que déplacer le problème de la misère. Si nous voulons prendre un exemple concret en France, prenons celui des aides pour le logement qui ont permis à tous les marchands de sommeil d’aligner les tarifs de leurs studettes insalubres sur le montant des allocations de la CAF.

La seule issue rapide qui devrait concentrer les efforts de l’Etat et d’un gouvernement de Bien commun, car il est bon de répéter les évidences, est de permettre à chacun d’obtenir un travail et d’avoir un salaire décent. Seul le travail ennoblit l’homme et lui permet d’accéder au minimum d’autonomie nécessaire pour bâtir un foyer et entreprendre une vie libre de la misère.

Enfin, il est certain qu’une telle politique ne peut s’accomplir que dans le cercle vertueux d’une économie à taille humaine et d’une protection nationale. Tout le monde constate les affres de l’anarchie de la mondialisation marchande quand le travailleur français est poussé dans vos bras parce que son usine a préféré s’installer en Turquie ou au Vietnam. Cela nécessite une nouvelle fois une réflexion profonde sur la charité, sur le commandement d’aider son prochain et donc aussi d’accomplir un choix et une priorité dans une aide qui se doit d’être ordonnée au risque de l’injustice.

Veuillez accepter, Madame la Présidente, mes salutations respectueuses.

Jacques Bompard

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