Le projet de loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires proposée par le gouvernement répond à une proposition de campagne du candidat François Hollande. Je dois dire que c’était bien la seule dont la teneur m’avait séduite, sans pour autant emporter mon adhésion, tant je redoutais qu’il ne s’agisse que d’un engagement de façade, d’un trompe l’œil à la Potemkine.
La lecture du projet de loi qui nous est soumis depuis quarante-huit heures, la manière dont il est défendu par la majorité, confirment hélas mes craintes : ce projet de loi ne changera rien ou si peu, et le plus terrible n’est peut-être pas sa tragique insuffisance mais la volonté gouvernementale qui le sous-tend de ne rien faire, de ne surtout rien faire qui puisse bousculer l’ordre bancaire et la sainte spéculation. François Hollande dans un discours de campagne s’était proclamé l’adversaire de la finance. Il en est, en fait, le partenaire, et l’on pourrait même dire, si le mot n’était pas cruel, le compère.
C’est peu de dire, en effet, que cette loi ne changera rien à la situation actuelle. Les banques s’en vantent elles-mêmes publiquement, tant leur assurance de pouvoir compter sur un pouvoir complice est grande. Ainsi, la Société Générale ne sera affectée dans son fonctionnement par cette réforme qu’à hauteur de 0,75%, la BNP et Paribas seulement à hauteur de 2% ! Encore convient-il de préciser que ces activités ne seront pas abandonnées par ces banques, mais seulement transmises à des filières créées à cette intention.
Il est vrai que le critère décidé par le gouvernement pour « séparer » les activités bancaires ne pouvait qu’aboutir à cette quasi absence de conséquences. En effet, décider que les banques pourraient conserver dans leurs activités toutes celles « utiles » à l’économie, c’était permettre la plus large interprétation du terme « utile » et réduire à l’anecdotique la séparation. Nouvelle loi ou pas, les activités de banque de crédit et de dépôt ne seront quasiment pas séparées de celles des banques de marchés. Imperturbablement, elles pourront continuer à spéculer pour elles-mêmes et à en faire courir le risque à leurs clients et, le cas échéant, aux contribuables.
C’est là d’ailleurs une des trouvailles de la loi que d’instituer l’obligation pour les banques de désormais rédiger un testament, mais un testament qui ne léguera que des dettes puisque, par principe, les bénéfices sont pour la banque. C’est au regard de ce testament que la banque de France et le directeur général du Trésor prendront une décision de mise en faillite. Or, lorsque l’on sait que les actifs des cinq plus grandes banques françaises représentent 320% du PIB de la France et que la banque de France est la première créancière des banques françaises à hauteur de 250 milliards d’euros, on sait alors avec certitude qu’avec ce système aucune banque ne sera mise en faillite mais, qu’au contraire, elles peuvent compter sur le gouvernement pour faire payer les contribuables. Si on ajoute à cela que le fonds de garantie des dépôts des usagers sera fusionné avec le fond de résolution prévu pour sauver les banques, alors plus aucun doute n’est possible sur la véritable nature de cette loi et celle de ses commanditaires.
Cette loi est une loi mondialiste, au service de la financiarisation de l’économie et de l’enrichissement d’une classe supérieure mondiale.
En 1998, les mouvements internationaux quotidiens de capitaux étaient de 2000 milliards de dollars. Ils sont aujourd’hui de 4800 milliards de dollars sur lesquels 5% seulement soit 200 milliards alimentent le financement de l’économie réelle. Les 3800 autres milliards sont liés à des opérations spéculatives qui ne profitent qu’à quelques milliers de personnes et qui en ruinent des dizaines de millions.
Cette non-régulation, cette autonomie de la finance, cette financiarisation de l’économie mondiale, n’est pas un accident, une « sortie de route ». C’est, au contraire, une volonté des élites politico-économiques, mise en œuvre depuis quelques décennies, et dont la première étape fut la fin de l’étalon-or et l’interdiction du financement des Etats par les banques centrales, ce qui fut le cas dès 1973 en France. C’est d’ailleurs dans ce contexte précis qu’il faut aussi souligner que cette loi devance les vœux de l’Union Européenne qui a publié en octobre 2012 un rapport devant servir de base à de futures directives sur le sujet, rapport commandé par le commissaire Michel Barnier à qui on doit, entre autres, le projet de fin du droit de plantation dans la viticulture, et dont le zèle au service du mondialisme semble ne pas connaître de limites.
En trois ans, depuis le début de la crise, l’Union Européenne aura englouti plus d’un tiers de son PIB, dans l’aide aux établissements financiers. 4 500 milliards !Douze fois le budget annuel de l’Etat en France ! Au prétexte qu’il fallait sauver les banques et ne pas ajouter de la crise à la crise, ce sont les contribuables et les travailleurs qui ont payé et payent encore pour les spéculateurs, ce sont les Européens qui ont payé pour des gens qui ont abattu les frontières, créé un marché mondial où ils peuvent piller les nations, du nord comme du sud, en toute impunité, avec l’accord de classes politiques complices ou ne voyant pas plus loin que le bout de leurs réélections.
La crise n’est pas une catastrophe naturelle ou le fruit d’un hasard malheureux. Elle est la conséquence logique d’un système qui a asservi le politique à l’économie et l’économie à la finance. Chercher des solutions à l’intérieur de ce système serait comme chercher à s’échapper d’une prison en creusant d’une cellule à l’autre.
L’avenir de la France et de l’Europe passe par le retour du politique au cœur des décisions, c’est-à-dire la recherche du bien commun et non de l’intérêt d’une classe supérieure. L’Europe offre par sa nature même de large espace continental le cadre nécessaire à la puissance politique et économique qu’exige notre siècle. Mais une Europe autocentrée sur les valeurs de sa civilisation, dotée d’une volonté politique d’indépendance, œuvrant pour les Européens et pas pour une classe mondiale ennemie des peuples.
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