Cher monsieur,
Dans une tribune publiée dans Le Figaro du 19 juillet, vous avez de manière publique et forte pris position, non contre le pape, mais en faveur de la messe en latin, curieusement mise à mal par le dernier motu proprio pontifical. Vous y voyez un signe. Une nouvelle alerte du ralentissement funeste du pouls de l’Occident. Une confirmation que ce qui nous fait mourir ne vient pas de l’extérieur mais de nous-mêmes. Ici, le pape lutte contre les intérêts vitaux de l’Eglise, comme là le président de la République sape ceux de la France. Et avec un incroyable souci de cohérence, vous parvenez à des conclusions sur lesquelles nul ne vous attendait.
Vous commencez votre propos en rappelant votre qualité extérieure à l’Eglise mais en soulignant votre appartenance civilisationnelle et culturelle : « le christianisme a façonné une civilisation qui est la mienne et dont j’estime que je peux l’aimer et la défendre sans battre ma coulpe, sans avoir à demander pardon pour ses fautes, sans attendre une rédemption après confession, contrition et agenouillement. » Je dois vous confesser une totale adhésion à ces paroles bien qu’étant catholique et fier de l’être. Le Christ ne dit-il pas dans l’Evangile selon Saint Luc qu’il rougira devant son Père de ceux qui ont rougi de lui ? L’esprit de témoignage de la foi s’oppose à toute velléité libérale de respect humain et de honte de soi. Je ne pense donc pas que la contrition d’exister soit le propre du christianisme, mais je saisis le reproche commun d’assimiler la demande du pardon avec un esprit de faiblesse ou de démission : c’est là en effet toute la dégénérescence moderne de l’esprit chrétien.
Dans les années 60, les aumôniers catholiques des lycées de France étaient les premiers représentants de ce prêt-à-penser qui habille aujourd’hui le crucifix du gilet de sauvetage des migrants. A l’époque, ils vendaient un marxisme mal digéré à une jeunesse qu’ils ne comprenaient déjà plus sous couvert d’évangélisation. J’en ai beaucoup souffert inconsciemment, et la révolte m’a conduit au paganisme. Il aura fallu la Providence et mon épouse pour me reconduire vers la sainte Eglise grâce à la volonté et à la patience d’un prêtre traditionaliste, l’abbé Schaeffer. Sans lui, je n’aurais pas compris le message évangélique que j’avais superficiellement assimilé aux VRP en col romain du matérialisme. J’avais vécu l’expérience d’un clergé détaché du sacré.
La moraline, que vous évoquez aussi, participe de cette confusion générale entre le christianisme et sa pale copie inversée qui constitue l’essentiel du prêt-à-penser contemporain. Pour compléter notre explication par une analogie, l’examen de conscience réel du chrétien, assumé avec honnêteté et humilité, n’a rien à voir avec le nombrilisme pervers des petits blancs déracinés en mal de reconnaissance et d’acceptation sociale. Ils recherchent la pitié de l’autre en lieu et place de la piété. L’une conduit à la haine de soi par le narcissisme, l’autre se nourrit de la haine du moi pour aboutir à la transcendance. On peut se tromper sur les mots, mais la pensée finale n’est pas du tout la même. L’une est sécheresse, l’autre est féconde. Et pour s’en faire une juste idée, il nous suffit de juger l’arbre à ses fruits et de constater les merveilles du christianisme médiéval avec ce que produit la spiritualité moderne. Et vous l’écrivez vous-même : « Ce qui se joue dans cette affaire, c’est la suite de Vatican II, autrement dit l’abolition du sacré et de la transcendance. »
Pour conclure, je voulais simplement vous remercier de votre honnêteté intellectuelle et de votre esprit de suite. Surtout, j’appuie cette reconnaissance du fait que c’est une voix hors l’Eglise qui en appelle à la raison, et console les chrétiens fidèles d’un trouble profond qui provoque peine et interrogations. L’ouverture finale de votre tribune sur l’étrangeté des temps que nous vivons nous rappelle que les époques de confusion sont aussi des époques d’espérance, et votre tribune en est une magnifique illustration.
Avec mon amitié,
Jacques Bompard